
Ce que j’en pense après le débat:
N’en déplaise à Jean-Jacques Rousseau, l’être humain n’existe pas sans société. Il naît d’un homme et d’une femme et si ce n’est pas le cas, il faut alors beaucoup plus d’humains pour sa conception et sa naissance. Le petit de l’homme vient donc au monde au milieu d’autres humains qui portent le poids, le passé, l’histoire d’une civilisation et qui appartiennent à une société. Cette société c’est leur organisation sociale et politique avec les règles qu’ils ont élaborées pour vivre ensemble.
Le nouveau-né est un être inachevé comme le décrit si bien Olga Tokarczuk, prix Nobel de littérature, dans son roman « Dieu, le temps, les hommes et les anges ». Je la cite: « Comme tout être humain Misia était née en quelque sorte disloquée. Chaque faculté, chez elle, faisait bande à part: la vue, l’ouïe, la compréhension, le sentiment, le pressentiment. Son petit corps était au pouvoir de réflexes et d’instincts. La mise en ordre, l’unification de tout cela, voilà en quoi devait consister la vie de Misia avant de laisser s’opérer la désintégration finale. Mais pour l’heure, il fallait à la fillette quelqu’un qui se dresserait devant elle tel un miroir projetant l’ image d’une Misia unifiée. » Comment mieux dire que la société assure l’achèvement de l’être humain grâce aux interactions sociales? La sociabilité fait partie de l’homme parce que c’est ce qui le construit.
La société est plurielle. Il en existe de nombreux modèles car leur évolution implique des choix et les individus qui constituent ces sociétés apportent des réponses différentes en fonction de leur histoire, de leur environnement et de leurs objectifs. En retour ces sociétés modèlent des individus différents. Il s’avère difficile de changer de société parce qu’il s’agit de changer de culture c’est à dire de se changer soi-même et il n’est pas certain qu’on puisse bien comprendre des personnes construites différemment de soi-même.
La société fait-elle de l’homme un être meilleur ou moins bon? Cette question suppose une référence (meilleur que qui?) et une précision sur le sens de meilleur (meilleur en quoi?). Vivre en harmonie avec la nature qui nous environne est un idéal et, en accord avec J-J Rousseau, on peut affirmer que la société nous éloigne de « l’état de nature ». La société est focalisée sur la production et la possession, pour le bien de l’individu croit-elle, elle est polluante, anthropocentrée et inégalitaire, elle détruit l’environnement qui est son premier bien commun. Les discriminations nuisent à l’épanouissement d’individus au sein de la société, la plus flagrante est certainement la discrimination de genre; dans l’héritage du patriarcat les petites filles ne sont pas façonnées comme les petits garçons dans la perspective du rôle social qu’on leur réserve.
Les choix que fait la société sont déterminés par le bénéfice qu’elle compte en obtenir mais sait-elle arbitrer entre les bénéfices à court terme et à long terme, entre le coût et la probabilité d’obtenir le bénéfice? La société s’assure-t-elle que le bénéfice ne profite pas à quelques uns au détriment du plus grand nombre? C’est pourtant à ces conditions que le bénéfice pourrait contribuer à faire un homme meilleur. Et c’est même vital pour la société parce que l’acceptation du collectif et de ses règles ne peut être acquise que si elle est perçue comme juste. Parfois la société propose, parfois elle impose, dans le pire des cas elle conditionne des êtres humains privés de leur libre arbitre et inégaux. A des degrés divers les sociétés font des individus éduqués, en bonne santé, cultivés, aptes à participer à la vie politique et sociale. En retour, l’être humain peut contribuer à faire évoluer la société par l’éducation et la transmission, par le partage d’informations et de savoirs, par ses votes et sa participation à des manifestations de protestation ou de soutien, par des activités associatives. La perversion de l’être humain par la société n’est pas une fatalité. L’évolution de l’un et de l’autre dépend de la nature de leurs interactions.