Ce que j’en pense après le débat: De tous temps il aurait été raisonnable de se poser la question mais ce serait oublier que jusqu’au siècle dernier la recherche naturelle du plaisir en couple hétérosexuel conduisait souvent à une grossesse qui allait à son terme si on ne recourait pas à un avortement clandestin à haut risque. La découverte de la maîtrise de la fécondité a changé la donne et puisque la grossesse c’est « si je veux et quand je veux », la question « Est-il raisonnable d’avoir des enfants aujourd’hui? » est quasi incontournable. Le mot « aujourd’hui » nous oblige à formuler la question différemment: Quelles sont les spécificités d’aujourd’hui qui font que notre raison nous encouragerait ou non à avoir des enfants?
Des raisons favorables à la procréation:
1- Les neurosciences incitent les femmes à assouvir leur désir d’enfants pour leur bien-être personnel direct, quelles que soient l’importance ou l’origine de ce désir. La maternité est considérée comme l’aboutissement de la féminité. Avoir un enfant joue un grand rôle dans la façon d’appartenir au monde et donc aussi à soi-même. Cette manière d’appartenir au monde régit notre éthique personnelle et les relations qu’on établit avec les autres.
2- Les données démographiques récentes montrent que les pays d’Europe ont un taux de natalité inférieur à 2.0, insuffisant pour assurer le renouvellement de la population ce qui, selon les projections économiques, aura un impact défavorable sur la croissance économique et sur la richesse disponible pour satisfaire les besoins des sociétés.
3- La plupart des femmes ont aujourd’hui une activité professionnelle et souvent à temps plein ce qui fait reculer l’âge de procréation et baisser le taux de natalité. La société s’efforce de contrer cette situation par des aides sociales: congés de maternité et de paternité, aides financières, augmentation des structures d’accueil des enfants…
4- A la naissance chacun reçoit sa part de patrimoine, matériel ou subjectif. Outre l’aspect successoral familial, l’héritage comporte les cadeaux de la nature et des réalisations humaines. L’enfant qui vient au monde reçoit les montagnes et l’océan, les nuits étoilées et les couchers de soleil, les oeuvres d’art, des rencontres inoubliables et l’amour. Avec ces richesses, il reçoit la responsabilité de les transmettre. Partager, faire don des « belles choses » et transmettre la vie.
Des points contre la procréation:
1- En 2022 huit milliards de personnes peuplaient la terre. Les projections de l’ONU font état de 10,4 milliards d’individus à l’horizon 2100. La croissance démographique a au moins deux conséquences: l’insuffisance des ressources pour satisfaire les besoins de tous les humains et la production croissante de déchets, facteur majeur de pollution.
2- La planète terre est un être vivant qui pâtit des activités et des comportements humains. Il existe un consensus des scientifiques experts pour attribuer à cette « pollution » de la Terre de nombreux phénomènes naturels qui pourraient faire de la Terre, un lieu inhospitalier: réchauffement climatique, montée des eaux, appauvrissement de la biodiversité …
3- On peut craindre de livrer un enfant innocent à un monde hostile. L’environnement géopolitique est inquiétant sur tous les continents ou presque. Partout les fondements de la démocratie sont contestés et menacés. Nos sociétés sont fragiles, instables, exposées à toutes sortes de violence et désorientées: à quoi ressembleront-elles demain sous la domination des réseaux sociaux capables de communiquer tout, partout, tout le temps et sous la tutelle des applications d’intelligence artificielle sources de la pensée unique? Aujourd’hui 46% des mariages se terminent par un divorce et on peut douter d’offrir à un enfant un foyer stable pour son épanouissement.
4- Les femmes ont des raisons individuelles légitimes de ne pas souhaiter une grossesse: retentissement sur la carrière professionnelle, obligation de renoncer à diverses activités et loisirs, difficultés matérielles, organisationnelles et financières, peur de la grossesse, de l’accouchement ou de la maternité, fragilisation du couple, défaut d’accompagnement du conjoint, etc.
La vie que nous vivons aujourd’hui et celle que nous anticipons pour demain mérite-t-elle d’être vécue et perpétuée? Cette question nécessite un effort de globalisation parce que les conditions de vie et les ressources sont disparates à la surface du globe. Paradoxalement les populations les plus défavorisées font plus d’enfants que les pays industrialisés. Dans ces régions la mortalité infantile est élevée, la fécondation est moins maîtrisée et beaucoup de naissances sont consécutives aux violences faites aux femmes. Mais aussi il ne faut pas ignorer que dans l’adversité la famille est une force, qu’elle est le seul sens à donner à la vie et que le plaisir sexuel est la seule satisfaction qui reste. A l’opposé l’égoïsme qui se développe dans les pays riches est un obstacle à la natalité et l’individualisme ne conduit qu’à une impasse. Les menaces sur les générations à venir ont toujours existé. Elles sont aujourd’hui mieux conceptualisées, plus répandues et même galvaudées.
Toute naissance conduit un jour à la mort. Le monde est fait d’espace-temps et de cycles qui échappent pour beaucoup à notre entendement. Posons-nous alors les bonnes questions? Et si demain les enfants étaient produits dans des utérus artificiels à partir de sperme et d’ovules congelés, à quel niveau règlerions-nous la production?: