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Quand on a lu « Petit pays » de Gaël Faye on ne peut pas l’oublier et on ne voudrait pas qu’une suite vienne abîmer la qualité de cette révélation sur le génocide du Rwanda (https://www.jean-jaures.org/publication/petit-pays/). Jacaranda, un nouveau roman de Gaël Faye sur le Rwanda parle en effet des suites du génocide mais il évoque aussi avec davantage de recul l’histoire du Rwanda depuis les origines du conflit entre Hutus et Tutsis jusqu’aux tentatives de réparation et de réconciliation après le génocide. Sans être aussi fort et poignant que « Petit Pays », ce deuxième roman est très abouti et réussi.
Milan a 12 ans, au début du roman, un père français et une mère africaine, Venancia, qui ne lui a jamais rien révélé de son histoire, des grands-parents paternels français qu’il aime. Il entend parler du Rwanda pour la première fois par la télévision qui informe sur le génocide. Enfant unique, son rêve d’avoir un frère se concrétise avec l’arrivée inopinée de Claude, un enfant noir chétif, gravement blessé à la tête et psychologiquement traumatisé. On explique à Milan que Claude est un cousin de son âge qui va désormais vivre dans la famille. Peu à peu les deux cousins s’apprivoisent, s’estiment et deviennent indispensables l’un à l’autre jusqu’au jour où Claude repart comme il était venu sans plus d’explication. Il faudra un divorce pour que Venancia emmène Milan en Afrique, lui fasse découvrir Kigali et le Rwanda, lui fasse rencontrer sa grand-mère maternelle et retrouver Claude. Venancia disparait et c’est Claude qui fait le guide pour que Milan rencontre les membres de sa famille, sa ville, son monde. Il comble un peu le vide laissé par les non-dits de sa mère.
Au cours de ses voyages successifs au Rwanda, Milan poursuit la construction de la part africaine et Rwandaise de sa personnalité. Jamais, même au moment de mourir, sa mère ne pourra lui dire ce qu’elle a vécu. Il le comprendra progressivement, en même temps qu’il apprend l’histoire de son pays, en suivant Claude et , à la fin du roman grâce aux confessions publiques très émouvantes d’une tante (Eusébie) et de sa fille (Stella). Milan fait la connaissance de Sartre, un personnage surprenant par sa culture littéraire et musicale, par ses qualités de fédérateur auprès des jeunes sans ressource et par son sens de la fête. Mais Sartre est surtout un exemple des Rwandais ambigus et contradictoires, et son image s’efface quand son comportement lors du génocide est révélé. Combien d’autres personnages mi-anges, mi-démons doivent rendre des comptes à des victimes déchirées entre une soif viscérale de vengeance et l’intuition d’une nécessaire réconciliation?
Milan ne parvient pas à trouver sa juste place en France, il y a trop de fragilités et de manques dans ses racines. Il assiste à la reconstruction du Rwanda, à la métamorphose de Kigali et à l’évolution psychologique de ses proches. Avec beaucoup de lucidité, de clarté et de sobriété, Gaël Faye se livre à une analyse sincère et très juste de sa découverte du Rwanda de l’après génocide. Son nouveau roman présente un incontestable intérêt historique, sociologique et psychologique, en particulier sur la force des non-dits (https://www.lepoint.fr/culture/huit-ans-apres-petit-pays-le-retour-de-gael-faye-avec-une-fresque-familiale-au-rwanda).