La formule préférée du professeur de Yoko Ogawa, roman japonais publié en français en 2005 aux éditions Actes Sud

C’est le premier roman que je lis de cette autrice japonaise dont la bibliographie est déjà riche (https://fr.wikipedia.org/wiki/Y%C5%8Dko_Ogawa). Une aide-ménagère est envoyée chez un professeur de mathématique, la soixantaine, négligé. Depuis un accident il souffre d’une amnésie qui a mis fin à une carrière prometteuse, sa mémoire des évènements récents est limitée à 80 minutes. Solitaire, il ne vit que pour résoudre des problèmes de mathématique. L’aide-ménagère a dû gagner sa vie précocément. Elle a un fils de 10 ans, scolarisé, passionné de baseball et qui tisse un fort lien d’affection réciproque avec le professeur. Celui-ci appelle l’enfant Root parce que le dessus de son crâne est plat comme la racine carrée qui abrite tous les nombres. Il partage avec lui la passion du baseball et s’efforce de lui transmettre sa passion des mathématiques.

L’intérêt de ce roman est multiple. L’autrice montre les difficultés de la vie quotidienne et le retentissement de l’amnésie sur la santé et la vie psychique du professeur. Elle montre aussi les qualités et les astuces que développent l’aide-ménagère et son fils pour qu’il en souffre le moins possible. La pédagogie du professeur de mathématique pour transmettre avec amour et le plus simplement du monde apparaît admirable et efficace pour Root et sa mère. Enfin, pour les connaisseurs, les match et les joueurs de baseball tiennent une bonne place dans le roman. Ce n’est peut-être pas un chef d’oeuvre mais ce roman est bien écrit, original et attachant. Pour preuve, l’extrait ci-dessous dans lequel l’aide-ménagère s’inquiète pour son fils parti camper sous l’orage:

 » -Quand Root n’est pas là, j’ai l’impression que mon coeur est vide. – Vide, est-ce que ça veut dire qu’il se réduit à 0, murmura le professeur, alors que je ne m’étais pas particulièrement adressée à lui. Cela voudrait dire que maintenant le 0 existe en vous. – Oui, sans doute, enfin peut-être, acquiesçais-je mollement. – Vous ne pensez pas que celui qui a découvert le 0 est un être remarquable? – Il n’existe pas depuis toujours? – Toujours, cela veut dire quand? – Eh bien, à partir du moment où l’homme a fait son apparition, on a dû trouver plein de 0 un peu partout, non? – Alors vous pensez que, comme les fleurs ou les étoiles, les 0 étaient déjà là à la naissance de l’homme? Qu’on pouvait se saisir sans difficulté de leur beauté? Aah quelle méprise. Vous devriez être un peu plus reconnaissante envers l’importance des progrès de l’humanité. – …/… – Alors qui est celui qui l’a découvert? – Un mathématicien indien anonyme. …/… Tous les mathématiciens de la Grèce antique pensaient qu’il n’était pas nécessaire de calculer le rien. Puisqu’il n’y avait rien, c’était impossible de l’exprimer avec des chiffres. Et il y a eu quelqu’un pour retourner complètement cette théorie vraisemblable. Il a exprimé le rien par un chiffre. Il a fait exister l’inexistence. N’est-ce pas merveilleux? – Oui, c’est vrai. J’étais d’accord avec lui, même si je ne comprenais pas très bien pourquoi l’inquiétude au sujet de Root avait été détrônée par un mathématicien indien. J’avais déjà appris par l’expérience que lorsque le professeur expliquait avec passion, c’était à coup sûr merveilleux. Si je comprends bien, grâce à ce grand professeur indien qui a bien voulu découvrir le 0 écrit sur le carnet de Dieu, on a pu feuilleter des pages qui n’avaient pas encore été ouvertes, c’est ça? – Exactement. C’est exactement cela. Vous comprenez très bien. Vous manquez de sentiment de reconnaissance, mais vous avez la hardiesse de parcourir la totalité des mathématiques. »

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