En France, à la fin de l’année 2021, une pénurie de main d’oeuvre freine la reprise économique après la pandémie. Un million d’emplois ne sont pas pourvus. Une des causes, nous dit-on, tient au fait que beaucoup de personnes ne sont pas retournées au travail après la fin du grand confinement. Certains auraient pris goût à rester chez eux à ne rien faire à moins qu’après avoir eu du temps pour réfléchir ils estiment que le jeu n’en vaut pas la chandelle.
Une réaction primaire est de s’interroger: Les allocations chômage et autres aides sociales ne sont-elles pas trop élevées ou d’un accès trop facile? Si « ils » gagnent autant à rester chez eux qu’au travail, alors autant rester chez soi. En conséquence, des personnalités politiques menacent de durcir les conditions de droits aux dites allocations voire de les supprimer en cas de refus répétés à des propositions d’embauche.
Bonnes questions? Bonnes solutions?
D’autres questions surgissent. La société française (comme celle des autres pays qui ont observé le même phénomène) et ses rouages complexes constituent une énorme machinerie (un rouleau compresseur?). Ce retard à l’embauche n’est-il pas le témoin d’une grande inertie du système? L’injonction à reprendre le travail a-t-elle été le moyen adapté à la taille et aux caractéristiques de la population concernée pour atteindre l’objectif? Des groupes de travailleurs auraient-ils pris conscience que le fruit de leur travail est insuffisant? – que leur rôle dans la société et/ou leurs devoirs envers la société sont si vides de sens, qu’il est préférable de rester chez soi?
Voltaire nous a enseigné que le travail éloigne de nous trois grands maux: l’ennui, le vice et le besoin. Si cette assertion est vérifiée nul doute que chacun retournera promptement au travail mais… Le travail proposé permet-il d’éloigner le besoin? Pas pour tous et pour beaucoup le besoin a été remplacé par des désirs créés par la société et plus difficiles à satisfaire. Permet-il d’éloigner l’ennui? Pas pour tous. Les actes répétitifs créent l’ennui plus qu’ils ne l’éloignent, tout comme le travail sans intérêt, le travail à la chaîne, l’abrutissement devant les écrans d’ordinateur, enserrés entre des heures de transport… et les sollicitations excessives et les exigences de rentabilité conduisent bien au-delà de l’ennui. Le travail permet-il d’éloigner le vice? Si l’ennui persiste aucune chance. Des conditions de travail inadaptées ou des défauts d’encadrement peuvent encourager des addictions. La presse et les réseaux sociaux ne ratent pas une occasion de relater des histoires d’enrichissement frauduleux, d’escroqueries et magouilles et de harcèlement au travail.
Je n’ai pas cette vision du travail mais à y réfléchir je pense que beaucoup de gens ont des arguments à faire valoir avant de retourner au travail. Ne devrait-on pas les féliciter d’avoir profité du temps libre du confinement, ayant chassé l’anesthésie due à l’habitude et la routine, pour parvenir à ce constat? Je propose de relire Voltaire plutôt que menacer du bâton: créer un environnement de travail vertueux pour éloigner le vice, trouver un intérêt réel à la tâche pour éloigner l’ennui, s’assurer que la rémunération apporte un reste à vivre suffisant pour éloigner le besoin et chacun retournera avec joie à son travail.