
Deux gros volumes de 600 pages pour raconter l’histoire de cinq générations de la famille Traoré de Ségou (https://fr.scribd.com/document/LE-ROYAUME-DE-SEGOU, https://fr.wikipedia.org/Segou(ville) membre de l’ethnie des Bambaras. Leurs pérégrinations nous emmènent dans l’Afrique de l’ouest, de l’océan au fleuve Niger, de Tombouctou au golfe du Bénin et même au-delà de l’océan dans les îles et les Amériques à cause du commerce des esclaves dont ils furent victimes. Mais au-delà du destin de cette famille et de cette ethnie, du sort réservé à chacun de ses membres, c’est toute l’histoire de cette partie de l’Afrique (Mali, Sénégal, Guinées, Liberia, Côte d’ivoire…) que Maryse Condé (https://memoire-esclavage.org/biographies/maryse-conde) déroule devant nos yeux, laissant peu de place à la fiction et à l’imagination tant son récit est riche d’évènements et de personnages historiques vérifiés et d’informations sur la culture de ces ethnies (Bambaras, Peuls, Toucouleurs, Somonos, Sarakolés, Dogons…)
En premier lieu ce qui m’a frappé dans ce long roman, c’est à quel point la culture de ces peuples est méconnue, voire méprisée, probablement à mon sens parce que la tradition orale était quasi exclusive dans leur quotidien, l’écriture étant réservée à la religion et aux sciences. Les Bambaras étaient réputés fétichistes, ils correspondaient quotidiennement avec les ancêtres et les esprits, les griots avaient la charge de prédire l’avenir et de protéger les personnes des forces du mal, chaque famille possédaient nombre d’objets rituels sacrés mais leur religion, propre à chaque ethnie, était bien plus complexe et situait l’homme comme « le grain du monde ». Maryse Condé transmet tout ce qu’elle a pu retrouver de leur culture: l’architecture et la décoration, l’agriculture et l’art culinaire, leurs traditions vestimentaires et festives, leur musique et les instruments, les rituels du quotidien et l’éducation, la case pour l’étranger, les armes et l’art de la guerre…
Deuxièmement, à toutes les époques, le drame de l’esclavage et le commerce qui lui est attaché. Bien avant le XVII ème siècle la capture et le trafic des êtres humains avaient lieu entre les ethnies ou entre les régions d’Afrique, dans le cadre de la guerre ou de brigandage , pour le service des plus riches, pour la puissance, la vente ou la reproduction. Les souffrances physiques et psychiques sont incommensurables et se prolongent sur les descendants même après l’abolition de l’esclavage, avec les conséquences de la déportation, le besoin viscéral de retrouver ses racines, et l’impossible reclassement social même au sein de la famille retrouvée.
Enfin, le dernier point que je souhaite souligner, c’est le rôle des religions dans l’évolution de ces ethnies et le massacre de leurs traditions. A la lecture de cette histoire il est difficile d’imaginer que l’islam ait apporté un bénéfice quelconque aux peuples d’Afrique qui ont vu déferler des hordes d’intégristes leur enjoignant de reconnaître qu’il n’y a de Dieu qu’Allah, de renoncer à leur religion, leurs traditions et leurs ancêtres, de dénoncer les membres de la famille qui refusent de croire dans le vrai dieu, puis des hordes de soldats musulmans chargés de tuer les « incirconcis » et de soumettre les villes. Quand Ségou a été soumis, ce fut l’arrivée des colons français avec leurs prêtres catholiques qui se sont imposés. Que reste-t-il à ces peuples après tous ces renoncements? Ce qu’ils ont pu sauver de traditions, les écrits qui n’ont pas été brûlés, beaucoup de rancune et des familles divisées.
Merci à mes amis qui m’ont fait découvrir cette lecture si riche et indispensable sur l’Afrique.