Ce que j’en pense après le débat:
Déranger suppose la perturbation d’un ordre établi mais dans quel(s) domaine(s)? Notre vécu personnel nous oriente vers un possible dérangement social puisque nous constatons une discrimination des homosexuels et un dérangement psychique de notre propre cadre conceptuel. Les causes de ces dérangements sont donc probablement psychiques et sociologiques. Est-ce que c’est la sexualité des personnes homosexuelles qui dérange ou leur présence au sein de la société ou leur comportement en public? La sexualité se pratique dans l’intimité, elle n’est donc pas visible sauf si on la recherche. La visibilité des homosexuels dans la sphère publique ne choque plus personne (sauf comportements gênants qui ne sont pas propres aux homosexuels) mais elle peut raviver des questionnements et activer des fantasmes.
En tant que personne libre de ses choix, je peux décider des partenaires avec qui je veux avoir du plaisir, celles et ceux que je veux aimer durablement, celles et ceux avec qui je désire fonder une communauté de vie et avoir des enfants. Leur nombre et leur genre ne concernent qu’eux et moi. Mais si chacun met en oeuvre ce principe de liberté alors survient un grand dérangement dans l’ordre social hétérosexuel, machiste et patriarcal. L’état perd le contrôle de l’organisation de la société, des limites de la morale et s’il concède cet espace de liberté dans la vie intime des citoyens, à quelles concessions s’obligera-t-il ensuite? Les religions seront contestées sur des questions fondamentales. Face à la multiplication des relations homosexuelles, des responsables politiques invoqueront un risque d’effondrement de la démographie mais cela prête à sourire devant l’efficacité des techniques de conservation du sperme et autres possibilités de procréation. De plus la démographie est actuellement en berne dans de nombreux pays sans qu’il soit nécessaire d’impliquer l’homosexualité. Ils invoqueront aussi un risque pour la défense du pays en raison de la virilité défaillante des soldats, peu importe car la virilité a peu à voir avec l’homosexualité ni avec l’efficacité des drônes.
L’homosexualité nous conduit à construire des représentations mentales de comportements sexuels différents des nôtres qui bousculent notre imagination et nos fantasmes. Comme nous répugnons habituellement à imaginer les rapports sexuels de nos parents, nous pouvons éprouver une répulsion, de la peur et du dégoût en pensant aux pratiques des homosexuels en particulier à la sodomie masculine. A noter que les pratiques homosexuelles féminines choquent habituellement moins, de même que la sodomie dans les pratiques hétérosexuelles. Les femmes et les hommes sont-ils à égalité dans la perception de ce dérangement mental?
Les homosexuels sont moqués, stigmatisés, brutalisés parfois jusqu’à la torture et la mort, interdits dans beaucoup de sociétés. Leur différence provoque l’ostracisme même si leur homosexualité n’est pas ostensiblement affichée et les manifestations du rejet sont amplifiées par l’effet de groupe et le rapport de force, qui trouve là un exutoire à toute sorte de frustrations plus ou moins conscientes. Les hommes plus que les femmes rejettent les homosexuels probablement parce que leur conception de la virilité n’est pas compatible avec la virilité qu’ils imaginent être celle des homosexuels. S’ils s’en prennent aux femmes homosexuelles, c’est que la virilité qu’ils leur attribuent entre en compétition avec leur propre virilité et menace leur machisme. Le cadre conceptuel menacé comporte aussi des représentations mentales d’ordre social qui expliquent qu’on dénie aux homosexuels la capacité de contracter un mariage et d’élever des enfants.
Finalement tout pourrait se résumer à énoncer que les homosexuels n’ont pas de place dans une société machiste et patriarcale qui désire se pérenniser comme telle. Si le dérangement social est plutôt théorique, l’homosexualité questionne chacun de nous sur les représentations mentales de notre propre sexualité: qu’est-ce qui la fonde? est-elle légitime? contrainte? nous donne-t-elle satisfaction? Notre société subit une rapide évolution concernant les questions sexuelles: ce qui était simplement fantasmé est maintenant révélé (n’importe quelle pratique est visible sur internet), l’intimité est attaquée par les réseaux sociaux et les alternatives à la « norme » hétérosexuelle se sont multipliées avec les questions sur l’identité de genre. La perception de l’homosexualité et la compréhension de cette question va donc continuer à évoluer.