Dans les suites de la publication des caricatures du prophète Mahomet, trois personnes sont mortes, attaquées au couteau par un terroriste dans la Basilique de Nice. C’étaient des Agneaux, des gens qui priaient pour la paix et qui œuvraient pour répandre l’amour des autres. Peut-être y aura-t-il encore d’autres victimes?
Oui je suis attaché à la liberté d’expression et je rend hommage aux victimes, à toutes les victimes du terrorisme mais… Adhérer à un idéal aussi élevé que la liberté d’expression sous toutes ses formes, sans condition et en tout temps a deux conséquences: 1- c’est notre idéal et notre droit, il n’y a pas à réfléchir sur la question et 2- ceux qui n’y adhèrent pas ou voudraient y apporter des nuances sont disqualifiés. Cet idéal a l’avantage de présenter ces morts comme un magnifique sacrifice et de les rendre ainsi supportables. Il est pourtant naturel de se questionner sur le fait qu’on engage la vie de citoyens au nom d’une entité subjective non discutable.
Les victimes ne sont plus là pour nous dire si leur mort est le juste prix à payer pour la liberté de publier des caricatures. Pour cette liberté-là, elles ont perdu toute la Liberté et la vie. Confronté à ce marché, que penserait chaque citoyen? Quand c’est le hasard qui choisit les victimes, chacun ne se sent pas particulièrement exposé. Ceux qui n’ont pas de lien avec elles ne ressentent pas dans leur chair, la douleur de leur assassinat. Ils peuvent considérer que la Liberté n’a pas de prix et qu’il n’y a pas à faire de distinction entre le droit à publier des caricatures et la Liberté. Mais si ils étaient avertis qu’en conséquence de cet acte, leur frère, leur femme, leur mère seraient sacrifiés, alors sans doute beaucoup renonceraient à la publication, au moins temporairement.
Les caricatures du prophète Mahomet sont jugées offensantes par beaucoup de musulmans en France et dans le monde. La distribution de ce message sur les réseaux sociaux amplifie l’intensité de la réaction et multiplie la population qui se considère comme la cible de cette offense. Il n’y a pas d’autorité intellectuelle musulmane reconnue par cette population et capable d’apaiser la réaction. Il y a des voix musulmanes pour attiser l’incendie. C’est un constat. Nous pensons que notre droit prévaut et que nous n’avons que faire de ces considérations. Nous pensons que les musulmans qui tolèrent les caricatures sont intelligents et ceux qui les refusent ne sont pas assez éduqués. Nous ne renoncerons pas, disons-nous et notre intransigeance est justifiée par la grandeur de notre idéal. Et si nous nous trompions? Si on envisageait la possibilité de remettre en question notre point de vue?
Qu’y a-t-il de commun entre la publication de caricatures au siècle précédent, vues par quelques milliers de lecteurs avisés et disposés à payer leur journal satirique et déverser aujourd’hui sur les réseaux sociaux du monde entier ces images accompagnées de commentaires qui brident leur interprétation par une foule indistincte et vulnérable? Le droit est resté le même mais les effets sont devenus dévastateurs. Dévastateurs pour ceux qui se sentent offensés mais encore plus dévastateurs pour nous qui armons les terroristes et qui semons des graines de colère, de révolte, d’intégrisme, d’ostracisme et de racisme. C’est notre droit d’exiger le respect de la liberté d’expression mais c’est notre humanité d’en faire usage avec toute la considération nécessaire et notre intelligence de ne pas nous détruire en son nom. Il est peut-être des circonstances où la liberté d’exprimer notre humanité et notre intelligence devient l’idéal suprême.
Ces propos ne veulent blesser personne et ne professent pas la Vérité. Ils revendiquent que les idées les mieux établies puissent être remises en question. Nous pouvons raisonner, convoquer nos souvenirs, nous taire ou mentir mais nos pensées s’imposent à nous.
Liberté, Liberté, que de crimes on commet en ton nom! (Manon Roland, sur l’échafaud, 1793)
Lire l’article du Huffington Post de Novembre 2020 sur la liberté et la responsabilité (à propos d’un autre sujet, la covid 19). « Afin de mieux comprendre en quoi la liberté, en société, ne peut se concevoir uniquement à travers un prisme individuel, on peut se tourner vers Sartre, qui distingue deux types de liberté: une liberté d’indépendance qui consiste à agir dans l’ignorance volontaire des circonstances, et la liberté de responsabilité, qui assume toutes les contraintes de la situation”. “Pour Sartre, notamment, la liberté absolue va de pair avec la responsabilité absolue. C’est parce que l’homme est libre qu’il est responsable (…) nos actions et nos choix impactent les autres qui nous entourent, et c’est précisément parce que ces actions sont libres que nous devons répondre de leurs conséquences”