
Aurore Malet-Karas est docteure en neurosciences cognitives et sexologue. Dans son introduction elle écrit: « Il y a trois livres fondamentaux pour bien comprendre la sexualité: la Bible, le Code pénal et les travaux de Darwin! ». C’est dire la largeur de vue qu’elle impose pour la lecture de cette synthèse actualisée sur le sujet de l’amour, du désir et de la passion.
Les grecs anciens possédaient les mots spécifiques pour décrire l’amour érotique et passionnel, l’amour universel, l’amour familial et amical, l’amour des êtres chers sans attirance sexuelle, l’amour-propre, l’amour des camaraderies complices, l’attachement pour un partenaire etc. Notre vocabulaire contemporain, limité à amour, désir et passion est si pauvre qu’il est source de confusion. Les types d’amour des grecs ne s’excluaient pas entre eux mais se complétaient. L’amour romantique s’oppose à la passion et reflète la dualité corps/esprit qui naît avec les philosophes grecs, s’accentue avec les penseurs chrétiens et persiste chez Descartes, Kant et même dans nos médias actuels qui ne s’affranchissent pas de la domination de la pensée sur la matière, de l’amour doux sur la passion destructrice.
La biologie encadre nos contingences érotiques, sexuelles et amoureuses et répond, à l’aide des neurosciences, des sciences cognitives et de la sexologie, à bien des questions posées par les philosophes sur la sexualité. Dans le vivant, il existe deux modes de reproduction (terme impropre car nous ne nous reproduisons pas vraiment!), sexuée et asexuée, la première lente, coûteuse en énergie, source de diversité, capable de contrebalancer les mutations géniques délétères, la seconde rapide, peu coûteuse en énergie, ne produisant que des clônes. Chez Homo sapiens, il n’existe que deux sexes parce qu’il ne possède que deux types de cellule sexuelle (gamète), mâle et femelle, chaque individu n’en possédant qu’un. C’est la base du dimorphisme sexuel. Dans sa théorie de l’évolution qui vise la survie des espèces, Darwin a développé en complément de la sélection naturelle, la sélection sexuelle. Elle comporte trois mécanismes: la compétition entre mâles, le choix par les femelles et le viol. La sélection sexuelle est génératrice de diversité et fait évoluer le dimorphisme sexuel (les mâles deviennent plus forts). Les comportements sexuels s’adaptent à l’environnement: on peut ainsi opposer des espèces comme les grenouilles qui produisent et abandonnent des milliers de larves dont très peu survivent, aux éléphants qui ont très peu de descendants mais qui sont de grande taille et choyés par la communauté.
Les incompréhensions dans le quotidien des couples ne sont pas le plus souvent liées à des questions de sexe ou de genre mais plutôt à la capacité à comprendre les états mentaux d’autrui, c’est la théorie de l’esprit développée par les éthologues à propos des chimpanzés. Garantir l’égalité des chances de tous et toutes exige d’aborder ces questions de façon scientifique en commençant par étudier ce qui entrave cette égalité, les causes étant politiques, sociales, culturelles et parfois physiologiques (à titre d’exemple, pour des raisons de conditions expérimentales, toute la recherche en neurosciences ne cible que des individus mâles et les résultats, même des tests médicamenteux, sont ensuite appliqués aux femmes). Quelles sont donc les différences biologiques entre les sexes et les retrouve-t-on dans nos cerveaux?
- La différenciation entre les sexes ne tient qu’à un gêne « architecte » (SRY) porté par le chromosome Y, qui code pour une protéine TDF (Testis Determining Factor). Celle-ci oriente la gonade embryonnaire bipotentielle vers le développement d’organes génitaux masculins pendant que, à défaut de TDF, la gonade poursuit son développement vers les organes féminins. Une altération du gêne SRY ou de la voie de signalisation de la TDF peuvent aboutir à des déterminations sexuelles atypiques appelées intersexuation. Les personnes intersexes représentent 2% des naissances. L’embryologie a montré la grande similitude des organes génitaux masculins et féminins, pénis et clitoris, bourses et grandes lèvres étant une variante d’organes communs.
- La différenciation sexuelle concerne aussi le cerveau. Anatomiquement, les cerveaux masculins sont plus gros et ont un ratio substance banche/substance grise plus bas. Le dimorphisme se retrouve aussi dans des régions cérébrales spécifiques sans qu’il soit aujourd’hui possible d’en déduire des implications au niveau des comportements. Aucun argument en faveur d’une meilleure adaptation des femmes au « multitasking » ou aux soins. Les femelles Homo Sapiens ont un cycle menstruel dont le coût métabolique est élevé. Il ne s’agit nullement de la préparation de l’endomètre à accueillir le petit oeuf mais c’est un puissant moyen de sélection des oeufs incapables de produire suffisamment d’hormone (hCG) pour stopper les règles. Les hormones féminines sont cycliques et la sécrétion de testostérone chez l’homme est tout autant variable en fonction d’un grand nombre de facteurs. Cette variabilité permet d’adapter nos comportements à de multiples situations et de maximiser nos chances de survie et de reproduction.
- La culture nous forme autant que notre physiologie et en biologie, tout peut changer avec l’apprentissage et l’environnement. C’est ce constat qui introduit la notion de genre, si bien résumé par Simone de Beauvoir: « On ne nait pas femme, on le devient ». Une anthropologue américaine, observant que dans certaines cultures, les hommes et les femmes n’étaient pas tenus de se conformer à des types cadrés (genrés) d’activité ou de comportement, a proposé vers 1950 la notion de « rôle sexuel » et soulevé de multiples questions dont les conséquences de cette différenciation des genres sur nos corps, nos intimités, nos structures socio-économiques, notre urbanisme etc. Nous reproduisons ou non, par nos choix et nos comportements, les normes sociales et les catégories culturelles. Notre identité (dont notre genre fait partie) est une construction stable et plastique pour laquelle nous possédons une mémoire à long terme spécifique « autobiographique ». Les études de genre permettent de pousser la recherche hors du champ de la biologie et de confronter la validité des différences constatées entre les sexes, certaines (comme l’attrait des sciences chez les filles) apparaissant finalement moins naturelles que culturelles. Elles permettent aussi d’étudier scientifiquement les discriminations basées sur le genre et leur impact, et d’étudier les biais et les stéréotypes susceptibles d’engendrer des inégalités (par exemple les retards et erreurs dans la prise en charge des infarctus féminins).
Les hormones sexuelles (oestrogènes, progestérone et testostérone) ont un précurseur commun: le cholestérol. Elles sont toutes présentes dans les deux sexes mais à des concentrations différentes. Il n’y a pas de relation directe entre les concentrations hormonales et l’activité sexuelle ou la libido parce que beaucoup d’autres facteurs interagissent, par exemple, le profil hormonal de la femme est différent selon qu’elle ressent du désir ou qu’elle recherche un partenaire romantique de long terme. L’ocytocine et la vasopressine sont connues de longue date pour des actions physiologiques diverses, distinctes de la sexualité mais ce n’est que plus récemment qu’on a démontré l’effet de leur action conjointe sur la régulation de nos comportements sexuels. On les reconnait aujourd’hui comme les hormones du lien (et de la monogamie!). Elles favorisent le rapprochement physique et procurent un sentiment de bien-être et de sécurité. Les phéromones ne sont pas des hormones. Il s’agit de substances chimiques volatiles sécrétées par des cellules spécialisées, libérées dans l’environnement pour d’autres organismes dont elles modifient le comportement. Il existe peu de données robustes sur l’existence et le rôle des phéromones dans l’espèce humaine. Une substance produite par des glandes de l’aréole des seins de femmes allaitantes déclencherait la têtée chez les bébés. Des phéromones ont été découvertes dans de nombreuses espèces animales pour expliquer l’attirance sexuelle (comme le Bombykol chez le ver à soie) mais aucune chez Homo sapiens. Cet échec a de multiples causes dont une tient au fait que personne à ce jour n’a fait l’inventaire des molécules odorantes produites par notre corps. A ce propos, je m’étonne que l’auteur ne mentionne pas une étude célèbre et reconnue qui fait le lin entre l’odeur corporelle, l’attirance et la sélection des partenaires et les groupes tissulaires HLA. Une piste actuelle de recherche consiste à séquencer le gênes correspondants aux phéromones utilisées par diverses espèces.
Résumé en cours de rédaction